A mon arrivée Delmas 31, on m’avait montré une tente et un vague abri en me disant : "il y a une enseignante de l’école qui vit là"… J’avais hâte de la rencontrer. (…)
Elle était en train de piler des épices Madame Prophète, quand je me suis présentée. Je lui ai expliqué que je suis enseignante moi aussi, venue donner un coup de main sur le chantier et apporter du matériel scolaire.
Elle était ravie, Madame Prophète : elle avait déjà un ami français, "Monsieur Thierry", qui l’avait aidée à installer son réchaud, et maintenant elle avait une nouvelle amie française… Chaque personne qui passait devant la tente avait droit à un "vous avez vu, j’ai de la visite". Elle ne doit pas avoir souvent de visiteurs, Madame Prophète…
Elle a un fils en France, et un autre qui est rentré à Cap Haïtien rejoindre son père, parce qu’ici il n’y a pas de travail. Elle m'a raconté sa vie : comment elle a quitté Cap Haïtien avec ses fils pour qu’ils puissent aller à l’université. Le tremblement de terre. (…) Comment elle vit depuis, sous la tente, sans eau, sans électricité, où la pluie rentre quand il y a un orage et mouille tout ce qui est par terre. Les difficultés qu’elle a à vivre avec le salaire de 4000 gourdes (80 €) par mois que lui verse l’école. Comment il faut aller chercher l’eau à la citerne au bas de la rue (installée par les humanitaires) pour faire sa toilette, sa lessive, sa cuisine. Elle m'a demandé si nous pouvions lui donner un vieux pot de peinture pour transporter l’eau, car elle n’a qu’un seul seau.
Je lui ai demandé pourquoi elle ne repartait pas à Cap Haïtien, elle m'a répondu qu’elle avait signé un contrat jusqu’à la fin de l’année scolaire, et qu’elle devait le respecter.
Elle est courageuse Madame Prophète. Elle a le sens du devoir et le respect de ses engagements.
Quand il pleut des cordes, je pense à Madame Prophète sous sa tente…